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Un champ de mines pour Anonymous et l’hacktivisme –

SudQuotidien

« Depuis que nous avons déclaré la ‘guerre électronique’ au régime criminel qui contrôle le Kremlin, Anonymous a piraté plus de 2 500 sites russes et biélorusses, y compris des sites gouvernementaux, des médias, des aéroports et des banques ».

Des allégations, faites jeudi 17 mars sur Twitter par le compte Anonymous TV, impossible à vérifier. Difficile en effet d’attribuer des attaques informatiques à un collectif décentralisé d’hacktivistes anonymes et dont tout le monde peut se revendiquer.

Mais une chose est sûre : l’invasion russe en Ukraine a entraîné une recrudescence de cybermilitantisme et une nouvelle jeunesse médiatique pour Anonymous qui avait connu son heure de gloire aux débuts des années 2010 . « Il n’y a jamais eu une telle mobilisation d’hacktivistes au niveau international pour défendre une même cause », souligne Athina Karatzogianni, professeure de communication à l’université de Leicester qui a étudié l’utilisation des outils numériques durant les cyberconflits, contactée par France 24.

Des sites inaccessibles, des messages envoyés par millions à des Russes

Pour ceux qui savent manier l’arme numérique, les campagnes de piratage contre des cibles russes servent « à exprimer leur solidarité un peu à la manière de ceux qui acceptent d’héberger un réfugié ukrainien », estime Dennis-Kenji Kipker, juriste et spécialiste de cybersécurité à l’université de Brême, contacté par France 24.

Surtout que ces hackers militants ont l’impression de répondre à un appel à l’aide du gouvernement ukrainien. « Dès le début de la guerre, Mykhailo Fedorov, le vice-Premier ministre ukrainien, a appelé tous les talents numériques pour se battre sur le front cybernétique. Et ce n’était pas uniquement limité aux Ukrainiens », rappelle Athina Karatzogianni.

Peu après, le collectif Anonymous a « déclaré la guerre » à Vladimir Poutine. Ils ont été rejoints par plusieurs autres groupes, tels que le mouvement d’hacktivistes polonais du Squad303 ou encore les Cyber Partisans biélorusses, qui se présentent comme des opposants au président Alexandre Loukachenko.

Cette internationale des hackers contre Moscou a ensuite multiplié les opérations. Il y a eu une succession d’attaques par déni de service (les attaques Ddos servent à rendre un site inaccessible en surchargeant les serveurs de requêtes) contre les sites du Kremlin, du FSB (le service de renseignement) ou encore du site de la chaîne de télévision d’État RT.

Ces activistes ont aussi réussi à dérober d’importantes quantités d’information sur les serveurs de grands groupes comme Gazprom ou encore du site de Roskomnadzor, le gendarme russe des médias. Ils ont aussi pris le contrôle pendant une dizaine de minutes de plusieurs chaînes d’information russes, comme Russia 24 ou Channel One, afin de diffuser des images de bombardements russes.

Enfin, Squad303 a, de son côté, mis au point un outil permettant à n’importe qui d’envoyer des messages à des numéros de téléphones portables russes afin « de les alerter sur la réalité du conflit », assure ce groupe d’hacktivistes polonais, dont le nom fait référence à l’escadrille 303 de chasseurs polonais durant la Seconde Guerre mondiale. Ils assurent que plus de 20 millions de messages ont ainsi pu être envoyés à des Russes.

Trop tôt pour évaluer l’impact de cet hacktivisme

Mais à l’heure où les combats font de nombreuses victimes en Ukraine, ces efforts dans le cyberespace peuvent sembler anecdotiques. Une cyberattaque contre le site de la Douma pour insérer sur le page d’accueil un message pro-Ukrainien n’aura jamais le même effet qu’une bombe larguée sur un quartier d’habitation à Kiev ou Marioupol.

« C’est sûr que ces opérations ne changeront pas la face du conflit, mais elles auront un impact », veut croire Dennis-Kenji Kipker. « Il est encore un peu tôt pour évaluer le rôle que ces activistes auront joué dans le conflit et surtout, ils ne représentent qu’une pièce du puzzle de tous les efforts – y compris les sanctions économiques – mis en place pour contrer la Russie », affirme Vasileios Karagiannopoulos, spécialiste du hacktivisme à l’université de Portsmouth, contacté par France 24.

Par exemple, « peut-être qu’une fois analysées, les données dérobées par Anonymous s’avèreront utiles pour les autorités ukrainiennes », ajoute cet expert. Et il ne faut pas non plus négliger « l’impact symbolique de ces cyberattaques », estime Athina Karatzogianni. Elles démontrent que l’armée cyber Russe, souvent dépeinte comme l’une des plus expérimentée au monde, n’est pas imbattable. « C’est aussi un message envoyé aux Ukrainiens pour leur démontrer qu’on fait ce qu’on peut pour leur venir en aide », ajoute Athina Karatzogianni.

Et des opérations comme le piratage des chaînes de télévision russe « permettent de battre les Russes sur le terrain de la guerre de l’information qui est censée être un de leurs points fort », estime la spécialiste de l’université de Leicester.

Les succès d’Anonymous et autres semblent avoir donné des ailes à ces hacktivistes. Twitter fourmille de messages prévenant que des opérations toujours plus importantes vont avoir lieu. Une montée en puissance qui n’est pas sans risque.

Le risque de « jouer le jeu » de Vladimir Poutine

« Qu’est-ce qui se passe si une des attaques d’Anonymous venait à endommager une infrastructure critique en Russie, comme un hôpital ? », s’interroge Dennis-Kenji Kipker. « Ils n’ont reçu aucune formation à la guerre cybernétique, et le risque existe toujours d’importants dommages collatéraux inattendus », reconnaît Athina Karatzogianni.

Les autorités au Royaume-Uni ont d’ailleurs appelé ces « volontaires » de la cyberguerre à ne pas rejoindre les rangs d’Anonymous de peur qu’ils finissent par « jouer involontairement le jeu » du maître du Kremlin, raconte le Guardian britannique. « Il y a toujours un risque d’escalade si Vladimir Poutine peut prendre le prétexte d’une attaque d’Anonymous en soutenant que c’est la preuve de l’implication de l’Occident dans le conflit », estime Vasileios Karagiannopoulos.

C’est « tout le problème avec des collectifs comme Anonymous, car ils n’ont été investi par personne pour s’exprimer au nom de qui que ce soit. Ils n’ont pas le droit de ‘déclarer des guerres’ comme ils l’ont fait », résume Dennis-Kenji Kipker. En d’autres termes, comme ils ne représentent personne, le Kremlin n’aura aucun mal à les dépeindre comme des agents de l’Ouest. « Surtout si ces hacktivistes font des dommages à des infrastructures qui comptent au quotidien pour les Russes [comme des voies de chemins de fer, des hôpitaux etc.], ce qui pourraient renforcer le soutien de l’opinion russe à Vladimir Poutine », estime le chercheur allemand.

Au lieu de prendre ce risque de mener des actions offensives qui pourraient mal tourner, Anonymous et les autres hacktivistes « pourraient aider à trouver les meilleurs moyens pour sécuriser les réseaux informatiques ukrainiens contre les attaques de pirates informatiques russes », estime Dennis-Kenji Kipker.

Cette guerre pourrait donc devenir un moment charnière pour l’hacktivisme. Il peut entrer dans l’Histoire comme le conflit qui a permis à cette forme de militantisme « de se faire connaître au niveau mondial comme un moyen efficace de lutte », note Vasileios Karagiannopoulos. Ou alors, ces hackers apparaîtront comme les responsables d’une nouvelle escalade du plus important conflit en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

FRANCE24.COM

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